Je suis un modeleur, je travaille la terre avec mes mains.

Modeler, c’est écraser, aplanir, pétrir, brutaliser, caresser, lisser, résister, repousser, produire une impulsion, un mouvement. L’argile s’invite naturellement à cette expérimentation. Dynamique, réceptif et récepteur, il me donne toutes les occasions d’enregistrer mon geste et répond à toutes mes pulsions. Il s’anime, se forme, se déforme ou se conforme. Je m’efforce de garder ce lien direct avec la matière pour transmettre cette énergie et initier ce petit big bang.

Dans ce dialogue, mon processus de création autour du visage est en perpétuelle évolution. S’inscrire dans une tradition plutôt classique, académique, retranscrire une ressemblance « réaliste ». Cela m’oblige à obéir à certaines règles anatomiques qui peuvent sembler parfois contraignantes et restrictives. Cette esthétique conventionnelle fondatrice est un tremplin qui va au final favoriser l’impulsion créatrice pour revenir à l’intuition et à la perception.

Dès lors, sortir de ce chemin, s’affranchir de mes certitudes, faire un pas de côté devient essentiel. Il ne s’agit pas de devenir le technicien le plus habile, mais plutôt d’aller à la source, de revenir à un soi originel. Avoir confiance en sa vision tout en ayant la capacité de se remettre en question. Apprendre, puis oublier ce qu’on a appris pour retrouver sa véritable nature. Pour cela, il me faut chercher le point de départ qui éveillera les sentiments, stimuler l’intuition pour entrer dans la création. Le thème demeure le visage, mais je me mets en situation d’improvisation et d’interprétation en laissant les choses venir, sans a priori : plus de modèle, juste la terre, mes mains, « un » visage. Ne plus travailler d’après nature, mais suivre un processus inverse en partant de son for intérieur. S’ouvre alors un vrai domaine de liberté en attaquant la matière dans une insatiable curiosité de la fabrique des choses. La main prend des risques, cherche, chemine, tente sa chance. Je lutte contre mes habitudes, provoque l’accident, m’abandonne… Remuer jusqu’au tréfonds, avancer, douter, découvrir, lâcher prise et se donner tout simplement la possibilité de voir quelque chose émerger. Le travail m’échappe : dans un souffle vital, une proposition, plurielle et incomplète surgit, directe, brute, unique. Défait des formes convenues, déconstruit, transfiguré, disloqué, le visage devient un lieu d'altérité, une énigme, un moment vrai, un appel muet qui permet de raccorder le spectateur à lui-même. Il parle, questionne, implore ou accuse.  Une invitation à un étrange dialogue pour nous (re)connaître et faire jaillir ce que l’on ignore de soi...